Le diable est dans les détails. Mi-août, à l’occasion d’un rassemblement contre le déboulonnage de la statue d’un héros esclavagiste, suprémacistes blancs et activistes progressistes s’affrontaient à Charlottesville, en Virginie. Outre l’attirail déployé, mêlant croix gammées, drapeaux confédérés et gilets pare-balles, c’est la marée humaine en polos blancs qui a marqué les esprits. Associé au pantalon […]
Lors de la manifestation de Charlottesville, le 12 août, se sont affrontés antifascistes et suprémacistes blancs. Ces derniers avaient pour la plupart revêtu des polos, blancs eux aussi. Un autre détournement de l’uniforme du sportif en symbole de haine.
Le diable est dans les détails. Mi-août, à l’occasion d’un rassemblement contre le déboulonnage de la statue d’un héros esclavagiste, suprémacistes blancs et activistes progressistes s’affrontaient à Charlottesville, en Virginie.
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Outre l’attirail déployé, mêlant croix gammées, drapeaux confédérés et gilets pare-balles, c’est la marée humaine en polos blancs qui a marqué les esprits. Associé au pantalon kaki passe-partout, ce signe distinctif d’un racisme en col blanc est l’instrument d’une stratégie visant à normaliser l’alt-right, agrégat d’identitaires, de thuriféraires du site Breitbart et de champions du président Trump.
Se rendre présentables
En amont de la manifestation, le troll néonazi Andrew Anglin enjoignait ses troupes à se rendre présentables : “Il faut que nous soyons extrêmement conscients de ce à quoi nous ressemblons. (…) Si les gens voient un groupe de porcs obèses et mal fagotés, ils ne vont pas écouter ce que nous avons à dire.”
Anaïs Voy-Gillis, chercheuse à l’Institut français de géopolitique (IFG), y voit, “outre la recherche d’un code qui permet d’affirmer l’appartenance à un groupe, un culte du sport et du fait de prendre soin de soi. Le style est donc soigné, pour se défendre et se battre en premier lieu mais également pour l’image qu’ils pensent ainsi renvoyer”.
Un détournement de la tenue sportive
Le retour en grâce du polo, vieille marotte facho, doit beaucoup ces jours-ci à la nébuleuse des groupuscules de l’alt-right. “L’association qui vend ces T-shirts est Vanguard America, qui reprend le nom d’une autre association de Charlottesville ayant périclité dans les années 2000. Ressuscitée il y a un an et marquée à l’extrême droite, elle est devenue clairement néonazie début 2017”, contextualise Fiammetta Venner, politiste spécialiste des mouvements intégristes au CNRS.
Emprunté à la bourgeoisie wasp, le polo blanc en signe de ralliement constitue un détournement de la tenue sportive, basique de l’uniforme universitaire américain. Il évoque “le style preppy, lié, dans l’imaginaire collectif, aux valeurs et aux idées traditionnelles de l’Amérique (…) et, aujourd’hui, à la classe blanche”, décrypte Anaïs Voy-Gillis.
Un état mental complotiste
Il cristallise également un état mental complotiste, estime Fiammetta Venner : “Il y a, dans le monde, des groupes qui font la révolution en portant des couleurs (cf. la révolution orange en Ukraine, en décembre 2004 – ndlr). Les suprémacistes se disent qu’eux aussi forment un contre-modèle social, avec une révolution blanche.”
C’est dans le sport britannique du même nom (le polo) que s’origine le vêtement, à la fin du XIXe siècle. Ni T-shirt ni chemise, on le doit au maharadjah de Jodhpur, également inventeur, en Inde, du pantalon d’équitation.
“Fred Perry est devenu une figure encensée par la classe ouvrière” Anaïs Voy-Gillis
En France, le tennisman star René Lacoste, lassé de suer à grosses gouttes sur le court dans des chemises longues, s’associe en 1933 à André Gillier, bonnetier de Troyes et par ailleurs géniteur du slip kangourou.
Au Royaume-Uni, c’est le champion Fred Perry qui en popularise l’usage : “Fred Perry est un joueur de tennis venu d’un milieu très populaire, qui a gagné à trois reprises le tournoi de Wimbledon. Sa réussite a fait qu’il est devenu une figure encensée par la classe ouvrière anglaise. La couronne de laurier emblématique de la marque est le symbole de la victoire”, détaille Anaïs Voy-Gillis.
Col relevé pour les puristes
Depuis les années 1970 et avec l’aide de Ralph Lauren, fleuron de l’élégance américaine, le polo, qui s’arbore col relevé pour les puristes, épouse l’“american way of life” des étudiants wasp de la Côte Est.
Chez la marque française Vicomte A, spécialiste des déclinaisons de polos bicolores inspirés des jockeys, on évoque l’ubiquité de cette pièce : “C’est un élément de sportswear élégant qui se marie aussi bien avec un bermuda, un chino ou un blazer.”
Accessoire bourgeois
Le polo devient l’étendard d’une lutte des classes culturelle dans l’Angleterre des années 1960 où, en signe de provocation, la sous-culture des mods –fans des Who et des Kinks – s’approprie cet accessoire bourgeois et moulant. Il faut attendre les années 1970-80 pour que le glissement des “hard mods” vers la mouvance skin advienne.
“La politisation des mouvements skins débute à la fin des années 1970, confirme Anaïs Voy-Gillis. L’avantage des polos Fred Perry est qu’ils limitent la transpiration. Ils sont portés tous boutons fermés et près du corps. Pour compléter leur panoplie, les skins portent généralement des bombers, des Dr. Martens et le crâne rasé. Un style très militaire.”
Aussi ambigu que connoté
D’autres marques controversées font les frais de cette politisation radicale, comme Ben Sherman et Lonsdale (cette dernière étant plébiscitée pour ses lettres “nsda” évoquant le Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, le parti nazi).
En France, où le port de la veste matelassée et des mocassins à glands trahit souvent le jeune filloniste en embuscade, le port du polo reste aussi ambigu que connoté, tant “fafs” (fascistes) et “antifas” (antifascistes) s’en réclament.
Ainsi, en 2013, le militant libertaire Clément Méric avait trouvé la mort en croisant des activistes d’extrême droite à la sortie d’une vente privée où l’on trouvait notamment des articles Fred Perry. “En France, c’est davantage un marqueur qu’un uniforme : une marque commerciale est utilisée par des militants qui trouvent que la violence est un bon moyen de faire de la politique”, remarque Fiammetta Venner.
Politisation absurde
Depuis 2016, aux Etats-Unis, le groupuscule des Proud Boys, dédié à “l’antipolitiquement correct et à l’anticulpabilité raciale”, mené par le cofondateur de Vice Gavin McInnes, a choisi d’adopter le polo Fred Perry noir et jaune comme signe de ralliement. Embarrassé par cette publicité douteuse, le président de la marque britannique s’est désolidarisé de ses encombrants clients.
Cette politisation absurde est loin de s’arrêter au polo puisque Andrew Anglin, toujours lui, fidèle à la tradition des Hammerskins (suprémacistes blancs) qui préfèrent les lacets blancs, signalant une supposée supériorité de la “race” blanche, faisait, dès le début de l’année, des baskets New Balance “les chaussures officielles des Blancs”.
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